Dos de femme, dos de mulet : Les oubliés du Maroc profond / Hicham Houdaîfa

Editions En Toutes lettres, Casablanca, 2015

Mon commentaire :

Ce livre – enquête m’a fait, tout de suite après sa lecture, penser aux grandes enquêtes qui ont contribué à des grands changements dans le monde. Je pense notamment à « Tête de Turc » de Günter Wallraff ou encore « Notre ami le roi » de Gilles Perrault.

Avec ce premier livre de la série Enquête de la jeune maison d’édition casablancaise En Toutes Lettres, Hicham Houdaïfa, signe une grande enquête d’investigation sur un sujet sensible et brûlant par son actualité et par l’urgence de rendre justice à ces femmes oubliées du Maroc profond. On connaît déjà les affreuses conditions d’exploitation des femmes mulets de Ceuta, dans ce livre, est mise en lumière l’étendue de ces violences faites aux femmes sur les plans, économique, psychologique, sexuel, etc.

Le livre contient plusieurs reportages, chacun concerne une région du pays ou un problème particulier touchant des femmes.

  • Les ouvrières clandestines de Mibladen dans la région de Midelt, mines aujourd’hui à l’abandon, pour survivre, des hommes et des femmes descendent encore ramasser les miettes de plomb sans aucune protection et au péril de leur vie.
  • Les torturées de Ksar Sountate : subir les pires atrocités, juste parce que filles ou épouses de ceux qui ont été arrêtés et exécutés lors des événements de mars 1973 dans le Moyen Atlas.
  • La double peine des femmes Ninja, travailleuse de la clémentine à Berkane, souvent venues d’ailleurs et qui subissent une double exploitation, économique et sexuelle.
  • Les femmes prêtées de Kalaat Sraghna, des mineures sont données à des hommes qui signent avec leur père un « contrat » moyennant 20 000 à 60 000 dirhams.
  • Les sans-papiers de l’Atlas, des mariages sont conclus « à la Fatiha », sans aucun papier. Sans contrôle de l’âge des fiancées. Sans possibilité d’avoir un état civil pour les enfants, et de faire respecter les droits lors des divorces et des veuvages.
  • Les Barmaids de Casablanca, le monde de la nuit est un gouffre qui broie des femmes, souvent mères célibataires et dans la plus grande précarité.
  • Les victimes de la traite dans le Golfe, elles postulent un poste de coiffeuse ou similaire dans les pays du Golfe, elles s’y retrouvent sans passeport et contraintes à la prostitution.

L’auteur nous fait un constat dur et alarmant, mettant en évidence les raisons de cette situation qui se nourrit de l’abandon scolaire précoce ou l’inexistence de scolarité, du poids des traditions ancestrales, de l’indifférence des autorités et de l’insuffisance la Moudawana (code de la famille), même si elle avait été révisée et promulguée en 2004. Il nous présente également le rôle joué par les associations pour venir en aide à ces femmes, notamment en tirant la sonnette d’alarme sur les chiffres concernant les violences faites aux femmes à travers tout le pays.

Ce livre d’Hicham Houdaïfa, comme son second livre à propos de l’islamisme radical au Maroc, est pour moi un manifeste à lire de toute urgence, à diffuser et à participer par tous les moyens pour venir en aide à ces femmes et leur rendre justice.