Autour du 8 mars

Autour du 8 mars, lecture #1/8: « Ferdaous, une voix en enfer » de Nawal El Saadawi

« Il s’agit bien dans ce livre, de naissance. Celle d’une parole.

Ferdaous en langue arabe signifie « Paradis », et c’est donc une femme prénommée Paradis qui, la veille d’être pendue pour avoir tué un homme, interpelle, d’une « voix en enfer », toutes les femmes d’une société où l’oppression sexuelle séculaire commence à peine à être dite de l’intérieur.

Etapes successives de la vie de Ferdaous, devenue prostituée par révolte, après avoir traversé les cercles d’une exploitation implacable : son enfance en Haute-Egypte où le père, écrasé de misère, épargne sa vache mais non sa femme, ni sa fille ; son adolescence au Caire où l’oncle, professeur, refuse de l’envoyer à l’université « où il y a des hommes » et la marie de force à un vieillard. Femme battue, Ferdaous choisit la rue où le premier protecteur se transforme en proxénète, où les policiers des quartiers pauvres, les clients aisés des maisons des rendez-vous, les mauvais garçons, et jusqu’à un syndicaliste repenti et embourgeoisé, renvoient à Ferdaous une image à peine accentuée des autres hommes. Ferdaous qui, au bout de multiples fuites désespérées, devient meurtrière par défi. »

Texte tiré de la préface d’Assia Djebar, la grande écrivaine algérienne, à la traduction du livre de Nawal El Saadawi, la médecin psychiatre et féministe et grande écrivaine égyptienne : « Ferdaous une voix en enfer »

Autour du 8 mars, lecture #2/8 : « La civilisation ma mère » de Driss Chraibi

Extrait #1 :

Et ce faisant, elle soliloquait, fredonnait, riait comme une enfant heureuse qui n’était jamais sortie de l’adolescence frustre et pure et ne deviendrait jamais adulte, en dépit de n’importe quel événement – alors que, la porte franchie, l’Histoire des hommes et leurs civilisations muaient, faisaient craquer leurs carapaces, dans une jungle d’acier, de feu et de souffrances. Mais c’était le monde extérieur. Extérieur non à elle, mais à ce qu’elle était, mais à son rêve de pureté et de joie qu’elle poursuivait tenacement depuis l’enfance. C’est cela que j’ai puisé en elle, comme l’eau enchantée d’un puits très, très profond : l’absence totale d’angoisse ; la valeur de la patience ; l’amour de la vie chevillé dans l’âme.

Extrait #2 :

– Je veux dire : que penses-tu de ta femme ?
– Pourquoi me demandes-tu ça fiston ?
– Si tu me parlais, hein, Pa ? ça te ferait du bien. Vas-y, vide ton cœur, je t’écoute.
– Rien que ça ? Eh bien, je vais te dire : c’est comme si j’avais épousé une nouvelle femme, que je commence à connaître, tandis que celle que j’avais m’était pratiquement inconnue.
– Ca veut dire que tu es content ? Ou que tu as peur ?
– Les deux, mon fils.
– Mais elle a une bonne nature.
– Je te crois.
– Et elle, elle a un nouveau mari ?
Il ne m’a pas répondu. Juste fumé. Fumé tout le paquet.

Autour du 8 mars, lecture #3/8 : « Rêves de femmes : Une enfance au harem  » de Fatima Mernissi

La dignité c’est d’avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, si minime soit-elle, va changer quelque chose.

Vous êtes dans un harem quand le monde n’a pas besoin de vous.

Vous êtes dans un harem quand votre participation est tenue pour si négligeable que personne ne vous la demande.

Vous êtes dans un harem quand ce que vous faites est inutile.

Vous êtes dans un harem quand la planète tourne et que vous êtes enfouie jusqu’au cou dans le mépris et l’indifférence

Une seule personne a le pouvoir de changer cette situation et de faire tourner la planète en sens inverse, et ce n’est personne c’est vous.

Autour du 8 mars, lecture #4/8 : « Dos de femme, dos de mulet : les oubliées du Maroc profond » d’Hicham Houdaïafa

La mine est investie par des femmes et des hommes qui n’ont aucune autre alternative pour nourrir leurs enfants… Rabiaa, pas loin de la quarantaine, mère de cinq enfants, se lève chaque matin à 5h30 et prépare le déjeuner puis le petit-déjeuner avant de réveiller les enfants. Son mari souffre de surdité, à cause du travail dans le ghar. Il n’a plus la force d’aller frapper la roche et ne perçoit aucune retraite. Rabiaa et ses deux filles aînées, âgées de 18 et 19 ans, entrent chaque jour dans les puits pour ramener du plomb. Une fois que les deux petits ont pris le chemin de la seule école élémentaire que compte le village – établissement construit par la Peñarroya -, elle sort de la maison et se dirige vers le ghar situé à un peu plus d’un kilomètre du village.

Toutes les femmes qui travaillent dans les ghiranes se trouvent entre neuf et dix heures du matin. Rabiaa, ses deux filles et trois autres femmes vont ainsi joindre leurs forces afin de sortir le plus de plomb possible. Avant de partir, elles précisent aux enfants dans quel ghar elles vont travailler. Tous ceux qui investissent les ghranes disent où ils vont travailler. « Quand quelqu’un manque à l’appel, les jeunes partent à sa recherche, explique Ahmed. C’est que les grottes peuvent faire 100 à 200 mètres de profondeur. Un vrai labyrinthe. Il suffit qu’une lampe s’éteigne pour qu’une personne se perde. »

Texte tiré du chapitre « Les ouvrières clandestines de Mibladen »

Autour du 8 mars, lecture #5/8 : « Saida Menebhi : Poèmes, Lettres, Ecrits de prison » de Saida Menebhi

Nous marchions
La tête haute, le regard perdu
Tu parlais d’un monde merveilleux
Qui viendrait car nous le voulons.
Dans ce monde, disais-tu,
Les enfants ne connaîtront plus la misère,
Les mamans n’abandonneront plus leurs bébés,
Les femmes ne seraient plus battues,
Méprisées, avilies.
Nous marchions, encore et toujours
Comme des fous et des damnés,
Lorsque nous sommes arrivés,
Déjà je rêvais.

Saïda Menebhi, militante marocaine du mouvement marxiste-léniniste et prisonnière politique, décédée le 11 décembre 1977 à 25 ans, après une grève de la faim de 34 jours. Une maison Espace littéraire a été fondée à sa mémoire à Marrakech: Dar Saïda

Autour du 8 mars, lecture #6/8 : « La brûlure des questions » Entretiens d’Abdellatif Laabi réalisés par Jacques Alessandra

Je crois que cette braise n’aurait pas été aussi vive, aussi irrédentiste, si je n’avais pas connu ce monde des cercles concentriques de l’oppression et de l’annihilation de l’homme qu’est l’univers carcéral. C’est là que j’ai pu appréhender dans ma chair et ma conscience toutes les prisons, et notamment celles qui ne sont pas entourées de murailles matérielles, les prisons sociales faites de toutes les aliénations et toutes les injustices historiques. Dès lors, ma relation à la femme pouvait être conçue et vécue dans le sens de la réalisation de l’humaine fraternité. Dès lors, je me redécouvrais aussi en tant qu’homme « viril ».

C’est ce qui m’amène aujourd’hui à penser que les hommes auraient peut-être besoin de leur propre mouvement de libération, à l’instar des femmes, un mouvement qui aurait pour objectif de les libérer de cette tare historique qui en a fait les détenteurs du pouvoir et les victimes sanguinaires du poison du pouvoir, de leur faire découvrir le prolongement de la femme en eux et leur prolongement en la femme. Alors la douceur et la force, l’intuition et la raison, le vital et l’intellectuel, n’auront plus de genre exclusif. Tout au plus auront-ils des nuances plus affirmées chez l’un ou l’autre, selon leur histoire individuelle et générique.

L’homme pourra enfin se débarrasser de son armure de guerrier pour redécouvrir des qualités qui lui appartiennent en propre ou qu’il partage avec les femmes et qu’il a refoulées jusqu’ici au tréfonds de lui-même, parce qu’elles étaient en contradiction avec les poncifs de la masculinité. Le corps de l’homme cessera alors d’être ce redoutable instrument de violence et de possession pour révéler son émouvante fragilité, sa capacité de don et d’abandon à l’autre, et pourquoi pas, sa beauté, que l’art pourra célébrer à son tour, au lieu de réserver cette célébration, comme il l’a fait jusqu’à maintenant, au seul corps féminin.

Autour du 8 mars, lecture #7/8 : « Le ciel sous nos pas » de Leïla Bahssain

A cause de ma peau, de la couleur de ma tignasse, et des secrets qui pèsent sur la genèse de mon corps, mon identité basanée et crépue, ils ne la voient pas. Du coup, à mon passage, ça se tâte l’entrejambe, ça drague et ça siffle à tire-larigot. Aussi, sur recommandation de Tifa (et pour ma tranquillité), mon corps est-il couvert. À ma façon. Cacher mon visage, je refuse. L’accoutrement de Tifa est une bâche noire qu’elle jette comme sur un étal de marchandises par-dessus sa nuisette ou sa robe moulante et rouge H&M pour se transformer en fantôme. Métamorphose d’une nymphe en zombie. Objet ambulant. Parasol sombre plié debout sur un trottoir par temps de grisaille. Balle de foin recouverte d’un plastique noir les soirs d’orage quand le ciel pleure. Un habit qui n’en est pas un. Venant d’une contrée si éloignée. Aliénée. Là où le corps des femmes n’est qu’une tache nébuleuse dans le mirage des déserts. Là où les femmes suffoquent sous la chape acerbe de la culpabilité. Étouffent et payent. Tout se paye. Tout se paye, et les crimes et les sacrilèges se purgent sur les seins noircis des femmes. Déshumanisées. Leurs ventres inhumés sous les ténèbres de l’obscurantisme.

Moi, je ne me soumets que pour mieux me libérer.

Autour du 8 mars, lecture #8/8 : « La révolte des rêves » de Nadia Essalmi

La femme a toujours fasciné l’homme. Elle lui est souvent insaisissable, inaccessible par sa douceur et par son intelligence. Elle a un avantage majeur sur lui, celui de donner la vie. Celui de se dédoubler pour créer l’humanité. Elle représente la moitié de la population mondiale et l’autre moitié, c’est elle qui l’a mise au monde. Sa première réaction en arrivant sur terre fut celle de lui faire perdre la tête. Depuis, il a juré de ne plus se laisser berner par elle. Il a alors mis toute son énergie à la rabaisser, car il ne peut l’égaler. Il a même fini par inverser la situation et c’est la femme qui aujourd’hui demande à être l’égale de l’homme.