Je ne veux pas parler ici des romans qui étaient obligatoires à lire au collège comme « Les misérables » de Victor Hugo et bien d’autres chefs d’œuvres. Je veux parler de la première fois pendant laquelle j’ai rencontré, d’une manière volontaire, mon premier livre, ma première lecture.
Avec mes parents, nous étions trois garçons et trois filles et habitions un deux-pièces à Casablanca dans un quartier populaire. Nos petites affaires personnelles, livres et cahiers d’école y compris, étaient mises dans l’espace commun et chacun de nous pouvait les voir et parfois les consulter. Mon frère aîné lisait souvent des romans « roses » (d’amour) égyptiens qui étaient prisés à cette époque (années soixante). Je me rappelle un jour vers l’âge de 13/14 ans, j’ai eu une envie ou plutôt une curiosité, lire et découvrir le plaisir que mon frère pouvait avoir. Le livre sur lequel je suis tombé ce jour-là était un roman de l’écrivain égyptien Yusuf Sibai, c’était « Nadia » qui était sorti en 1960, quelques années après la guerre du Sinaï que la France, le Royaume-Uni et Israël avaient menée contre l’Égypte de Nasser suite à sa volonté de nationaliser le Canal de Suez.
Sur ce fond historique, le roman raconte une histoire d’amour qui s’est construite à coups de lettres anonymes entre une jeune fille et son amoureux, un chirurgien qu’elle a vu seulement une fois dans un hôpital au Caire. Cette jeune fille au nom de Nadia avait subi les effets d’un accident domestique qui lui avait brûlé une partie de son cou et elle en est devenue complexée au point où elle n’avait pas hésité à glisser les photos de sa sœur jumelle dans les lettres échangées avec son amant virtuel. Un jour leur père va mourir suite à une maladie, se trouvant déshéritées par une tante méchante, leur mère de nationalité française décide de partir vivre avec ses deux filles à Gap en France. La correspondance de Nadia avec son amoureux a commencé une fois loin du Caire et a continué jusqu’au jour où elle perd sa sœur jumelle et où elle passe par une crise l’amenant à avoir des idées noires, se jeter par le haut d’une falaise. Heureusement, avant de passer à l’acte, elle révèle dans une ultime lettre son état de désespoir à son correspondant. Ce dernier, amoureux d’elle virtuellement et surtout inquiet pour elle, il décide de la rejoindre. La guerre étant déclarée, l’aéroport du Caire fermé, il va essayer par tous les moyens, y compris clandestins pour lui venir en aide et la mettre dans ses bras pour le restant de leurs vies. Émouvante histoire, je l’avais lue d’un trait sur notre terrasse, seul, avec le livre, le soleil et quelques clémentines.
Ce roman a marqué ma vie en inscrivant en moi à jamais le romantisme, l’amour, le désir de lire et de découvrir d’autres univers. Plus tard, j’ai quitté le Maroc pour la France et un des rêves que j’ai pu réaliser était celui de visiter Gap et de découvrir ses rues et ses paysages, je les avais trouvés comme c’était décrit dans le livre. Depuis, mes goûts littéraires ont évolué et se sont diversifiés, j’en ai lu un bon nombre de romans, j’en suis fier et ils font partie de moi ! Voici ici la traduction plus ou moins hasardeuse de la page du livre partagée en photo :
« Nadia d’une voix forte et suppléante :
– Mais je ne peux pas te laisser toute seule !
La mère :
– Mais tu me laisses aujourd’hui et tu vas me revenir, revenir me voir avec Midhat … et avec vos enfants… et je prie Dieu pour que tu sois dans une situation beaucoup mieux que la mienne… et plus chanceuse… et…
Midhat la coupe :
– Mais la possibilité de retourner ici sera peut-être compromise, la guerre a éclaté entre la France et l’Egypte !
Relevant la tête, la mère d’une voix douce et confiante :
– La guerre ne peut pas durer… c’est la paix qui est intelligence et avenir… le sentiment de bonté entre les êtres humains est plus fort que la haine des hommes politiques… l’amour est plus fort que tout… Le feu va s’éteindre… le bruit des canons finira par être réduit au silence, et les vents de la paix couvriront la terre à nouveau et pour toujours… et nous nous verrons et nous nous enlacerons à nouveau… sur votre terre il y a l’amour… et sur la nôtre aussi… l’amour est plus fort que la haine et la guerre. »
Aujourd’hui, on peut lire gratuitement ce livre en téléchargeant les deux volumes à partir du site web http://www.8gharb.com :
Ce roman a été aussi adapté au cinéma avec comme premier rôle, l’actrice que j’ai adorée pendant ma petite jeunesse, la belle Souad Houssni, disparue à Londres en 2001 sous des circonstances pour le moins mystérieuses, et voici le lien sur youtube pour voir le film (Non arabophones, désolé qu’il ne soit pas sous-titré en français !) :